INTERVENTION LORS DU DÉBAT DE POLITIQUE DÉPARTEMENTALE
Monsieur le Président, mes chers collègues,
A quelques semaines des élections européennes, la question qui nous taraude tous reste toujours la même : le taux d’abstention battra-t-il un nouveau record ? A quel point les citoyens français et européens manifesteront-ils leur désintérêt pour la chose publique ?
En France, 70% des personnes considèrent que les « politiques » ne se préoccupent pas de leur opinion. Pire, 8 Français sur 10 trouvent que la démocratie ne fonctionne plus. Et près de 40% ne sont pas allés voter aux dernières élections municipales, un triste record pour notre 5ème République. Mais surtout, nous constatons un effritement générationnel de la confiance démocratique chez les 18-24 ans.
Dans l’ensemble, la contestation à l’égard du Gouvernement et de sa politique perdure, comme en témoignent les manifestations des gilets jaunes, quand elles ne sont pas dénaturées par les casseurs.
Finalement, c’est clairement une perte de confiance qui s’observe en Europe à travers des comportements différents : Brexit, gilets jaunes, vote massif en faveur des populistes…
Dans notre pays, la réalité est simple : si la France est encore à l’abri de certaines dérives, elle est indéniablement fragilisée. La violence, verbale comme physique, s’y installe. Le désintérêt des Français pour la chose publique est grandissant. L’élection présidentielle avait permis d’espérer un regain d’optimisme sur le long terme. Aujourd’hui pourtant, force est de constater que l’incompréhension et le discrédit ont pris le dessus. Et les élus que nous sommes, sont en plein cœur de cette tourmente.
Il faut dire que nos habitudes ont changé, bien plus vite que notre façon de gouverner, d’administrer et d’inclure le citoyen au cœur des politiques publiques.
L’information est aujourd’hui devenue un produit de consommation de masse, où la quantité a rapidement pris le pas sur la qualité et où l’amplification médiatique instaure un climat de tension. La facilité d’accès à un certain nombre de données, à n’importe quelle heure et à n’importe quel endroit de la planète a généré une massification de l’opinion publique et une perte de réflexion personnelle. Une « défaite de la pensée », dirait certain (Finkielkraut), entretenant un décalage entre la réalité de la situation de notre pays et l’intelligibilité des mesures qui s’imposent en conséquence.
Cet écart grandissant génère un gouffre que nous constatons tous. Une fracture qui se creuse chaque jour un peu plus entre les gouvernements qui se succèdent et les citoyens.
Avec les scandales politiques des derniers mois voire années, et une réforme territoriale complexe, les citoyens sont de plus en plus perdus mais aussi méfiants. Un épais brouillard qui accélère le processus de défiance généralisé. Oui généralisé, car trop souvent les amalgames se font et tous les responsables politiques sont mis dans un même panier, nationaux comme locaux, alors que nous savons pourtant qu’une différence existe.
Et cette fracture, nous pouvons, nous élus locaux, tenter de la résorber par notre action quotidienne de proximité.
Car nous le savons ici, et je pense que l’ensemble des élus que nous sommes en est persuadé, la reconquête de l’opinion et la valorisation de l’action publique, quelle qu’elle soit, et au-delà des étiquettes et des esprits partisans, passeront par les élus territoriaux, les élus de proximité.
C’est de la base, à proximité de la vie quotidienne, de ses difficultés, de ses souffrances mais aussi de ce qui fonctionne, que les solutions émergeront.
Alors certains me diront que c’est en ça le but du Grand Débat National. Je leur répondrai, en bonne normande que je suis, qu’à la fois oui et non. Oui car en effet, ce dispositif de grande envergure a permis de donner la parole et d’écouter, de récolter de nombreux témoignages et propositions, à travers une démarche novatrice par sa dimension. Mais reste à savoir ce qui sera fait de l’ensemble de ces contributions. A ce stade, et comme un grand nombre de nos concitoyens, je reste sur mes gardes bien que curieuse et impatiente de découvrir le résultat final d’une sollicitation qui pourrait, je le pense, redorer le blason d’une classe politique affaiblie, dont nous faisons partie.
S’il y avait bien une chose principale à en retirer, c’est celle du dialogue !
Car c’est bien le dialogue et le contact direct qui permettront de rapprocher les citoyens de leurs élus et de l’action entreprise en faveur du territoire.
Ne serait-ce que la revendication du Référendum d’Initiative Citoyenne (RIC) ces derniers mois, témoigne d’un sentiment de rupture du dialogue, de l’écoute et du respect de la parole, qu’il nous revient de retrouver sans plus tarder.
Par ailleurs, vous ne pourrez me contredire sur ce point : l’action publique est plus claire, plus en lien avec les réalités quand elle est menée par des responsables politiques proches, et donc élus sur des territoires proches. En cela, le contenu des dernières réformes territoriales peut prêter à discussion et le souhait d’une simplification à mener au sein du millefeuille administratif ne peut qu’être réitéré.
En effet, entre fusions, absorptions, redécoupages… La lisibilité est devenue chose complexe, et les citoyens peu impliqués dans ces démarches d’évolution ont perdu leurs repères.
Par ailleurs, si aujourd’hui la dynamique est à la simplification par l’agrandissement, il convient de ne pas rompre l’attachement au territoire, tout en évitant de tout faire reposer sur les épaules des maires de nos communes, dont certains n’hésitent plus à jeter l’éponge. Depuis 2014, près de 1000 maires ont abandonné leurs fonctions, symptome d’un mal-être.
Ainsi, à la crise de confiance des citoyens s‘ajoute la crise de vocation des élus. Un mal à double sens.
Enfin, pour répondre à cette double crise et maintenir la présence des élus locaux au plus près des préoccupations des habitants, il convient :
- De revaloriser le rôle du maire et de l’échelon communal
- Et de réfléchir à ce que les Départements et les Régions puissent être administrés par les mêmes élus, la figure du conseiller territorial, évoqué un temps, mériterait en ce sens d’être remis au cœur des débats. Mais je touche là certainement un point sensible.
Enfin, c’est surtout par la pédagogie que l’action publique sera rendue intelligible. Car l’action publique, peu importe ce qu’elle est et par qui elle est exercée, ne peut être comprise que si elle est correctement expliquée.
A l’heure où les fake-news pullulent et où les chaînes d’information hypnotisent, il nous revient d’expliquer le cœur de notre action, à travers l’utilisation des nombreux moyens de communication qui s’offrent désormais à nous et en les exploitant à bon escient.
La bonne compréhension de l’environnement institutionnel ne pourra se faire sans un apprentissage, dès le plus jeune âge, de la nature et du fonctionnement de nos institutions – c’est en ce sens l’objectif du conseil des collégiens de notre institution.
Et à terme, cette bonne compréhension sera probablement accélérée grâce à une implication accrue du citoyen dans la réflexion aboutissant à la prise de décision. Ce chantier tant éducatif qu’institutionnel, en ce qu’il touche à la nature même de notre démocratie, est désormais ouvert. Reste à savoir s’il pourra produire ses effets dans un contexte institutionnel mouvant.
Pour résumer, la proximité des élus et la clarté de l’action publique dans un contexte plus participatif seront, je l’espère, les clés d’une confiance retrouvée.
Mais rassurons-nous tout de même un peu. Notre pays subit une nouvelle crise institutionnelle d’envergure, c’est vrai. Mais si nous prenons rapidement la mesure des enjeux et nous impliquons collectivement dans la refonte de nos pratiques, nous pourrons alors envisager un retour en grâce de notre fonction et permettre des prises de décisions mieux anticipées et donc mieux partagées.
La tâche est rude mais l’objectif est beau. Et même si parfois nous avons tendance à douter, n’oublions pas qu’impossible n’est pas français.
Je vous remercie.