INTERVENTION LORS DU DÉBAT DE POLITIQUE DÉPARTEMENTALE
Monsieur le Président, mes chers collègues,
Le 23 juin 2016, à l’occasion d’un référendum organisé par le Premier Ministre David Cameron, 51,9% des Britanniques ont choisi de quitter l’Union Européenne.
Une courte majorité préférant le « Brexit » au « Remain ».
Véritable coup de tonnerre dans le ciel européen, dans une Union trop souvent mise à mal par des poussées nationalistes et des velléités autonomistes.
Ce vote, lourd de conséquences, a déclenché l’application de l’article 50 du traité sur l’Union Européenne, qui prévoit que le Royaume-Uni et les 27 autres pays membres disposent de deux ans afin de préparer la sortie effective. Celle-ci interviendra donc officiellement le 30 mars prochain.
Nommée en juillet 2016 et reconduite en juin 2017, l’actuelle Première Ministre, Theresa May, a mené l’ensemble des discussions sur la sortie de son pays face à une équipe de négociateurs représentant l’Union.
Ce temps de la négociation a été celui de l’incertitude et de l’inquiétude pour nombre de personnes dont l’avenir pourrait être impacté à l’issue.
Après deux ans d’échanges lents et tendus, le 25 novembre dernier, les dirigeants européens se retrouvaient à Bruxelles afin d’approuver l’accord de sortie.
Cet accord, pavé de 585 pages, agrémenté de plusieurs protocoles et de nombreuses annexes, détricote de manière inédite les liens noués pendant plus de 40 ans entre l’Union Européenne et le Royaume-Uni. Mais pose surtout les conditions du « divorce » et celles de des relations futures.
Ce texte prévoit une période de transition jusqu’au 31 décembre 2020, pendant laquelle les Britanniques continueront d’appliquer les règles européennes et d’en bénéficier à travers les fonds structurels.
Ils s’engagement également à continuer de verser leur contribution financière, cependant, sans siéger dans les institutions et sans participer aux décisions.
Cette transition pourrait même être prolongée une seule fois et d’un commun accord, pour une période jusqu’à un ou deux ans, soit jusqu’à la fin 2022 au maximum.
Ce temps doit permettre d’éviter une rupture brutale et de négocier les relations futures, par le biais d’accord bilatéraux ou multilatéraux qui restent encore à construire.
Bien évidemment, cette période de flou, qui a débuté depuis vote du Brexit, ne favorise pas une confiance nécessaire à la dynamique économique partenariale. Les flux se sont contractés entre le Royaume-Uni et les pays de l’Union, les acteurs sont devenus assez naturellement « frileux » en raison de l’incertitude.
Quelle entreprise de Seine-Maritime se lancerait aujourd’hui dans un accord franco-britannique à long terme sans connaître les modalités conditionnant les relations futures ?
Pourtant, les marchés partagés de chaque côté de la Manche sont nombreux, qu’ils soient agricoles à petites ou à grandes échelles, industriels comme commerciaux.
De fait, cette situation engendre un ralentissement des activités qui influence automatiquement l’économie et l’emploi d’un certain nombre de secteurs sur notre département, et plus particulièrement le bassin dieppois, directement touché.
Le traité prévoit également la création d’un territoire douanier unique, englobant l’Union Européenne et le Royaume-Uni, au sein duquel il n’y aurait aucun quota ni droits de douane pour les biens industriels et agricoles. Ces dispositions permettraient d’éviter le rétablissement d’une frontière dure, notamment entre les deux Irlandes, mais également entre le Royaume-Uni et notre territoire.
→ Ce « backstop », littéralement « filet de sécurité » en anglais est l’un des enjeux majeurs pour notre département.
En effet, même si les conditions sanitaires et les normes vétérinaires ne sont pas bien définies et doivent encore bénéficier d’un accord commun, nous ne pourrions imaginer, d’un point de vue tant logistique que financier, la mise en place de contrôles systématiques des marchandises au départ du Port de Dieppe comme du Havre, sans évoquer les possibles droits de douanes ou l’application de la TVA.
Nous ne connaissons pas non plus l’impact de ces dispositions sur le tourisme britannique sur notre territoire, et par ricochet, sur l’activité transmanche.
Autre activité concernée par ce traité et secteur fort de notre territoire : la pêche. L’accord prévoit que les pêcheurs européens garderont un accès aux eaux territoriales britanniques et que les Britanniques resteront soumis aux quotas de pêche européens pendant la période de transition. Ce qui ne règlera pas, au passage, les problèmes rencontrés dernièrement pendant la saison de la Coquille Saint Jacques où nous avons pu assister à un spectacle ahurissant, véritable bataille navale dans la Manche.
Là encore, un accord devra intervenir avant la mi-2020.
Enfin, cet accord prévoit que les citoyens européens établis au Royaume-Uni et les Britanniques établis dans un État membre de l’Union avant la fin de la période de transition pourront continuer à vivre comme avant dans leur pays de résidence. Cela concerne plus de quatre millions de citoyens, 3,2 millions d’européens et 1,2 millions de Britanniques.
Vous le voyez, même s’il reste un certain nombre de questions et certaines difficultés d’ordre économique à régler, l’accord présenté ressemble aujourd’hui plutôt à un Soft Brexit.
Cependant, tout cela reste conditionné au vote du Parlement britannique. Et nous sommes en pleine actualité, ce vote aura lieu demain devant la Chambre des Communes, après deux semaines de débats.
→ Et ce vote semble très loin d’être acquis, malgré tous les efforts de Theresa May pour convaincre les députés, y compris de son camp conservateur, de soutenir le texte.
Mais qu’adviendra-t-il de nous, britanniques et continentaux, en cas d’échec ?
Et ce risque de rejet est réel, car le référendum en faveur du Brexit en 2016 était déjà le reflet d’un clivage grandissant dans la société anglaise.
Désindustrialisation, désengagement de l’État, fuite des jeunes…Un fossé s’est creusé progressivement entre les territoires bénéficiant de l’attractivité de la mondialisation et les autres, restés à la marge avec un sentiment d’inégalités territoriales et sociales.
Ces exclus n’ont pas enfilé des gilets jaunes mais ont votés contre les élites lorsque l’occasion leur en a été donnée, et ce fût le cas avec le Brexit.
Face au vote de demain, le clivage se cristallise encore plus. Il n’est pas ici bipolaire mais comporte bien trois pôles :
- Une partie des dirigeants britanniques eurosceptiques se languissent aujourd’hui de ne pas retrouver la capacité de maitrise pleine et entière des activités commerciales et de contrôle de l’immigration. Ils dénoncent également l’effet paradoxal de la période de transition où le Royaume-Uni continuerait à contribuer au financement de l’Union sans pour autant maintenir son pouvoir de décision au sein des institutions. Ils prônent donc un arrêt net des négociations et une sortie rapide et brutale, donc un Hard Brexit.
- Le second bloc, constitué des europhiles, soutient l’accord négocié à Bruxelles et qualifié de « meilleur accord possible » par Theresa May.
- Enfin, un dernier socle émerge dernièrement qui, devant le risque d’un désaccord et donc d’un Hard Brexit, souhaiterait organiser un nouveau référendum, sûrs que l’issue en serait différente. Une solution qui a sérieusement très peu de chance d’aboutir.
Quelles conséquences pour nous en cas d’un rejet du Parlement et la mise en place d’un Hard Brexit ?
Nos regards se tournent immédiatement sur la ligne Transmanche. Un certain nombre de moyens seraient à mettre en œuvre dans des délais contraints.
- Ainsi, pour les douanes, la création d’un nouveau local pour effectuer les contrôles deviendrait indispensable, tout comme de nouveaux bureaux.
- Un autre local serait également nécessaire pour les contrôles sanitaires et phytosanitaires.
- Il deviendrait également obligatoire d’agrandir les parkings existants, le contrôle prévus générant des inspections poussées et donc des zones d’attentes dédiées seraient nécessaires.
- Des moyens humains supplémentaires seraient aussi à affecter sur le port.
→ Le coût de la réalisation de ces infrastructures est estimé entre 4 et 5 millions d’euros par le Syndicat Mixte du Port de Dieppe.
Au-delà des difficultés engendrées par la sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne, que ce soit par le biais d’un Hard ou d’un Soft Brexit, cette situation inédite pose la question des futures relations outre-manche. Au-delà des échanges commerciaux, la question des projets construits en collaboration est posée. En effet, certain nombre d’actions bénéficient encore de fonds européens dans le cadre des programmes Interreg IV et V. Ces projets partagés sont nombreux et permettent à la fois un financement européen mais également un échange d’expérience et de pratiques très enrichissant, comme par exemple sur la valorisation du patrimoine archiviste anglo-normand, sur le développement durable des ports locaux ou encore l’adaptation aux changements côtiers. Qu’en sera-t-il demain ? Quels devenirs des projets et la question cruciale des financements associés ?
Autant de sujets qui questionnent et qui impactent notre territoire à la veille du vote du Parlement britannique.
Enfin, Monsieur le Président, mes chers collègues, je me permettrais une réflexion plus générale : à l’aube de nouvelles élections européennes, le Brexit prouve, s’il fallait encore le démontrer, que l’Union Européenne a une part de fragilité et qu’une nécessaire refondation doit intervenir afin de retrouver un développement économique, social et sociétal tant attendu. Souvent présenté à tort comme le problème parce que trop bureaucratique ou trop éloignée des préoccupations quotidiennes, elle est pourtant la solution, pour peu qu’on redéfinisse clairement son projet.
Je vous remercie.