INTERVENTION LORS DU DÉBAT DE POLITIQUE DÉPARTEMENTALE
Monsieur le Président, Mes chers collègues,
Pour rester dans le vif de l’actualité, après le plan pauvreté (jeudi 13 septembre), le mois de septembre a continué d’être celui des annonces gouvernementales avec le plan santé dévoilé quelques jours après.
Seul le prononcé fait foi,
Je veux que le système de santé soit l’un des piliers de notre État-providence du XXIe siècle (…) Nous devons le restructurer pour les cinquante ans à venir
C’est par c’est mot que le Président Emmanuel MACRON a commencé son annonce le 18 septembre dernier.
Une introduction forte et non moins nécessaire lorsque l’on regarde les indicateurs relatifs à la santé en France, que ce soit le panorama de l’OCDE, le rapport de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques ou encore les enquêtes santé de l’INSEE. Il y a certes des points forts mais aussi des cartons rouges qui interrogent sur la pérennité de notre système de santé.
Alors, pourquoi faire le choix de parler de la santé ? Simplement, parce que c’est un état qui nous concerne tous, à tous âges de notre vie. La santé est en effet un concept complexe, qui ne se laisse pas approcher par une seule mesure, sur une seule dimension.
Il est inscrit dans la Constitution de l’Organisation Mondiale de la Santé que :
« La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. La possession du meilleur état de santé qu’il est capable d’atteindre constitue l’un des droits fondamentaux de tout être humain, quelles que soit sa race, sa religion, ses opinions politiques, sa condition économique ou sociale. La santé de tous les peuples est une condition fondamentale de la paix du monde et de la sécurité; elle dépend de la coopération la plus étroite des individus et des États. »
Les problématiques de santé sont une préoccupation majeure dans le monde, en France mais également pour notre Département. Il s’agit d’un enjeu essentiel pour l’avenir de nos territoires et de leurs habitants.
En effet, plusieurs paradoxes – deux tout du moins – peuvent être soulevés :
Alors que la France consacre aujourd’hui à ses dépenses de santé à peu près 11,5% de son produit intérieur brut, ce qui la situe au 3ème rang des pays de l’OCDE, les difficultés financières de certains établissements de santé sont pointées du doigt.
Alors que l’accès au soin et le sujet de la désertification sont des questions de plus en plus cruciales, la France n’a jamais eu autant de médecins. Pour preuve, notre pays compte 310 médecins pour 100 000 habitants contre 275 en 1985. Parfois réduites uniquement à une question de moyens financiers, ces problématiques sont bien plus larges et nécessitent des réponses d’ordre organisationnel tenant compte des spécificités territoriales. La Seine-Maritime en fait partie !
C’est là qu’entre en jeu le fameux plan santé du 18 septembre dernier. Intitulé « Prendre soin de chacun » ou « Ma Santé 2022 », ce plan a été salué dans son ensemble par les professionnels et propose une cinquante de mesure (54 pour être précise) pour intervenir en faveur de chacun.
Malgré tout, ce plan pose encore un certain nombre de questions, notamment sur sa possible mise en œuvre. Cette volonté, louable, attendue et nécessaire, reste, à ce stade, l’esquisse d’une réforme incomplète.
Or c’est un enjeu de taille !
La structuration des soins dans les territoires, c’est concrètement la répartition entre médecine de ville et hôpital, mais aussi entre médecine urbaine et rurale, afin d’assurer l’égal accès aux soins pour tous et partout.
Car le constat partagé est le suivant : si les médecins sont nombreux dans les grandes agglomérations, il devient difficile de trouver un généraliste dans certaines zones rurales ou périphériques des centres urbains.
Fécamp a également été concernée lorsque l’ARS, en raison des nouveaux zonages, a retiré à la ville son statut de zone médicale déficitaire, alors même que la situation tend à devenir critique entre les départs en retraites et les déménagements des médecins. Dès lors, comment aider à l’implantation de nouveaux généralistes ? Alerté, le collectif « Un médecin pour chacun » avait lancé une pétition recueillant plus de 5600 signatures.
Et même au-delà des territoires, ce sont les collectivités qui aussi ont du mal à attirer et recruter des médecins en leur sein. Le Département en est un exemple, et le Centre de Gestion connaît la même situation.
Le constat est simple : la Seine-Maritime est particulièrement confrontée à de forts enjeux de maintien de l’offre de santé et d’accessibilité à des soins de qualité, sur l’ensemble de son territoire.
Mais revenons sur le contenu de ce plan.
La première chose à noter est qu’il prévoit un budget à hauteur de 3,4 milliards d’euros d’ici à 2022, répartis de telle sorte :
1,6 milliard d’euros seront consacrés à « la structuration des soins dans les territoires ».
- 920 millions à l’investissement hospitalier
- 500 millions à la « transformation numérique »
- 420 millions à «l’évolution des métiers et des formations
Alors quelles mesures ? J’en retiendrai 5 avec application sur notre département.
Le Plan Santé prévoit la formation et le financement de 400 médecins généralistes salariés afin de supprimer ces déserts médicaux. Mais la question ne s’arrête au financement, il faut aussi que nos territoires donnent l’envie à ces médecins de venir s’y installer sur le long terme. L’exemple des primes d’installation ne dure qu’un temps.
De façon complémentaire, le Président de la République a également annoncé la constitution de communautés professionnelles territoriales de santé pour avoir une vraie coopération afin que l’exercice isolé devienne marginal.
Concrètement, il s’agit des regroupements et du travail transversal, au-delà d’un simple regroupement physique.
Sans attendre cette mesure, la démarche a déjà été engagée en Seine-Maritime. Les collectivités locales, accompagné par le Département, se sont lancés dans la construction de maisons de santé notamment par le biais, sur les zones prioritaires de l’ARS, de l’aide aux Pôles Libéraux de Santé Ambulatoires et en zone déficitaire, de l’aide aux projets concourant au maintien et, au développement de la démographie médicale.
Les initiatives partent même des territoires directement. A titre d’exemple, la commune de Fontaine le Dun (à peine 1000 habitants) était privée de médecins depuis 2016 et a pris la décision, sous l’impulsion des élus, de créer un centre municipal de santé qui ouvre ses portes ce mois-ci.
Cela reste encore très théorique mais surtout ce n’est pas très nouveau.
Et il y a bien une chose à ne pas négliger c’est la pluridisciplinarité. En zone rurale comme urbaine, la désertification médicale concerne également et surtout les spécialistes. Notre collègue, Agnès Firmin le Bodo, interpellait également la Ministre des solidarités et de la santé par la voie d’une question orale en mars dernier sur la région havraise. Pour reprendre vos chiffres, vous mentionniez la pénurie d’ophtalmologistes avec une proportion de 6 ophtalmos pour 100.000 habitants contre 9 pour le reste de la France, cumulé à un temps d’attente moyen de 153 jours contre 100 au national. Cela pour dire que la désertification médicale ne concerne pas seulement le rural, mais guette également de plus en plus l’urbain.
La fin, en 2020, du Numérus Clausus, mis en place en 1971, qui limitait le nombre d’étudiants en deuxième année. En effet, chaque année ce sont 25.000 étudiants qui n’accèdent pas au concours et ne peuvent prétendre à la poursuite de leurs études, alors même que nous connaissons de fort déficit. Mais cela pose une sérieuse question de capacités d’accueil des étudiants, là où les amphithéâtres sont déjà bondés. Qu’en sera-t-il également du maintien de la qualité de l’enseignement ? Cette question des moyens alloués à l’enseignement supérieur et à la formation n’est pas abordée et manque cruellement.
POURTANT
Regardez aujourd’hui les conditions d’enseignement de l’institut de formation en soins infirmiers du CHU de Rouen, où, par manque de places, une partie des cours est assurée par Internet… Ou même de la PACES (première année communes aux études de médecines) où les cours sont rediffusés en direct par vidéo dans plusieurs amphis car celui où enseigne le professeur n’est pas assez grand. Certains étudiants, vont même jusqu’à arriver 2h en avance pour s’assurer d’avoir une place. Et c’est sans compter ceux qui suivent ces mêmes cours depuis l’antenne du Havre, et dont certains me révélaient que cela était très difficile car il n’y avait pas de professeurs à qui poser des questions en direct…
Parallèlement, le plan prévoit la création d’un nouveau métier : l’assistant médical. 4 000 postes seront ainsi financés dès 2019 afin qu’ils puissent se déployer le plus rapidement partout dans les territoires et libérer du « temps de soins » pour les médecins. Cela pourrait représenter un gain de temps médical équivalent à près de 2000 médecins supplémentaires, mais deux questions subsistent :
Quelle formation ? Quel cursus ? Quelles conditions d’enseignement ?
Et dans quelle mesure ces 4 000 postes seront ainsi réellement disponibles afin d’alléger la charge de travail des professionnels de notre territoire ? (prise en charge de nouveaux patients, raccourcissement des délais d’attente, consultation sans rdv…)
La télémédecine est aussi une piste à explorer afin de réduire les difficultés d’accès aux soins. La généralisation de la fibre sur notre territoire, pour une grande partie engagée par Seine-Maritime Numérique, accélèrera cette mutation des usages sans pour autant remplacer les consultations physiques souvent indispensables.
La télémédecine ne saurait être l’alpha et l’oméga de l’offre de soins dans les déserts médicaux, d’autant qu’il ne faudrait pas réduire voire supprimer le rôle social et humain indéniable du médecin de campagne.
D’autres mesures sont envisagées…
Réforme de l’hôpital, lancement de vastes programmes de prévention, nouveau dessin de la carte hospitalière, désengorgement des urgences en confiant les « petites urgences » en cabinet de médecine G…
Autant de projet qui appelleront à une véritable vigilance de notre part pour que ces mesures se fassent dans le respect de la qualité des soins et sur un maillage territorial le plus équitable possible.
Un plan large, bien qu’un point important manque toutefois à l’appel : l’absence de réforme de la psychiatrie, parent pauvre de la médecine.
Au niveau national, le nombre de lits a été réduits durant les trois dernières décennies, passant de 120 000 lits au début des années 1980 à 55 000 aujourd’hui. Nous en avons vu les conséquences récemment avec le mouvement de grève à l’Hôpital du Rouvray.
Espérons que ce plan, à l’étape d’annonce, lorsqu’il sera mis en œuvre, comportera un volet psychiatrique qui nous parait essentiel. Finalement, ce plan gouvernemental répond à un certain nombre de besoins, humains, organisationnels et financiers tout en confortant une transformation du système de santé déjà engagée, notamment en remettant le patient au centre du dispositif.
Dans cette perspective et dans la limite de ses compétences, le Département poursuivra sa politique en faveur d’un accès aux soins équitable sur l’ensemble du territoire de la Seine-Maritime. Cependant, les effets de cette réforme risquent de se faire grandement attendre et nous ne pourrons en mesurer les effets avant quelques années.
Il faut maintenant que le gouvernement montre sa volonté de passer des intentions aux actes. Cette réforme ne doit pas rester un vœu pieu : un plan santé, c’est bien, une loi santé, c’est mieux.
Je vous remercie.